Partir à la recherche des deux Jean, le Baptiste et l’Evangéliste, s’est révélé une véritable sinécure. Cette aventure m’a fait croiser historiens et philosophes bien entendu, mais également kabbalistes et théosophes. Ces deux Jean sont l’objet d’une abondante et très diversifiée littérature.
En livrant le résultat de mes pérégrinations, j’espère éclairer cette perfide question, posée à l’athée que je suis : « Pourquoi sommes-nous Loges de Saint-Jean ? ».
Contrairement à ce qui est souvent interprété comme la fin du monde, le mot « apocalypse » est étymologiquement la transcription d’un terme grec (άποκάλυψις ) signifiant « dévoilement » ou, dans le vocabulaire religieux, « révélation ». Si l’Apocalypse de Saint Jean est parfaitement identifiée, par ailleurs, de nombreux textes apocryphes sont également des apocalypses (de Pierre, de Jacques, d’Etienne…).
Cette planche ne prétend pas être travail d’historien encore moins œuvre d’érudit. Elle a simplement pour but d’approcher des personnages à la biographie fort controversée, certains auteurs allant jusqu’à la négation de ce pourquoi ils sont connus, voire de leur existence. Quoi qu’il en soit, tous deux occupent une place essentielle dans la construction de notre civilisation. Ils ont aussi leur place en Maçonnerie. Qu’importe d’ailleurs qu’ils aient été réels ou ne soient que légendaires, la force symbolique qu’ils représentent est bien supérieure à toute autre considération.
Dans une planche traitée en son temps, il avait été montré tout l’enjeu que représente une telle étude pour un Franc-Maçon. Je cite :
« Seul un regard transparent sur les fondements de notre Histoire, un regard au travers duquel peuvent être examinés les mythes fondateurs, sans battements de cœur ni haussements de sourcils, peut contribuer à éviter que, de nos jours, la laïcité puisse encore être parfois une excuse à l’ignorance »
Saint Jean-Baptiste :
Une première remarque s’impose, concernant Jean le Baptiste.
Tout comme Marie, Anne et Jésus, il est un personnage présent à la fois dans la tradition chrétienne et dans la tradition musulmane. Dans le Coran, il est Yahyâ ibn Zakariya (Jean, fils de Zacharie).
Dans l’Evangile de Luc, l’archange Gabriel vient annoncer à Zacharie, un vieux prêtre du Temple de Jérusalem (le Coran dit qu’il a 90 ans), que sa femme Elisabeth, parente, voire cousine de Marie, stérile, et désormais âgée, lui donnera un fils, qu’il devra prénommer Jean, nul n’ayant porté ce nom avant lui. Il ajoute : « Il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira ni vin, ni liqueur enivrante, et il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère ».
Le scepticisme de Zacharie devant cette annonce lui vaut de devenir muet.
La naissance se produit lors du solstice d’été.
Au 8ème jour de l’enfant, lors de sa circoncision, il lui est donné le nom de son père, comme le veut la tradition. Mais Zacharie écrit sur une tablette : « Jean est son nom ». Accomplissant la prédiction, il retrouve alors l’usage de la parole.
Comme son proche parent, Jésus, que l’on dit né six mois après lui, on ne sait rien de l’enfance de Jean, même lors de la mort, violente, de son père. Comme Jésus, on le retrouve à l’âge adulte, menant une vie de « nazir ». Aparté symbolique : nazir signifie « séparé » (du profane) tout comme Kadosch, le 30ème Grade Maçonnerie du Rite Ecossais Ancien Accepté. Il a ainsi fait le choix d’une vie ascétique, dans le désert, vêtu d’une peau de chameau, se nourrissant de sauterelles, mais pour un temps limité. En effet, il attend la venue du messie. C’est en cela qu’il a une place prépondérante dans le Christianisme. Il est LE « Précurseur » par le fait qu’il annonce cette venue et lorsque celle-ci surviendra, il n’aura plus qu’à s’effacer.
Jean-Baptiste, accompagné de nombreux disciples, donne le baptême sur les bords du Jourdain, baptême de la repentance, par immersion, purification du corps, mais seulement après celle de l’esprit. Ce passage sous la surface de l’eau est associé au symbole de l’horizontalité.
Il baptise enfin Jésus. Lorsque celui-ci sort de l’eau, il reçoit, debout, l’esprit saint sous la forme d’une colombe, ainsi que la bénédiction de Dieu. Le verticalité rejoint l’horizontalité, préfiguration de la croix ? Ou bien est-ce le fil à plomb qui rejoint le niveau ? Jean a accompli sa mission. Il confie alors ses disciples au Christ et se retire.
Nous connaissons sa fin. Il est le prisonnier du tétrarque de Galilée, Hérode Antipas qu’il accusait d’inceste pour avoir épousé Hérodiade, la femme de son frère. Hérode accorde à sa nièce, voire sa belle-fille ou même sa fille, Salomé, ce qu’elle voudra, si elle accepte de danser pour lui. Pour venger sa mère de cette révélation infamante, après une danse particulièrement érotique, elle reçoit ce qu’elle avait demandé : la tête du Baptiste sur un plateau, d’or comme il se doit. Comme le Christ, il a 33 ans, chiffre symbolique s’il en est, y compris en Maçonnerie, au Rite Ecossais Ancien Accepté.
Son tombeau se trouve dans la grande mosquée des Omeyyades à Damas, et, vénéré par l’Islam, il fait aujourd’hui encore l’objet de nombreux pèlerinages.
Alors, que de symboles dans cette histoire !
La proximité parentale d’Elisabeth et de Marie font de Jean un descendant de la lignée de David. Son père, Zacharie, fait lui, partie de la classe sacerdotale. Il a retrouvé la parole perdue.
Jean réunit déjà les deux principes : de l’eau par le baptême, et du feu, par le caractère solaire de sa naissance. Initiation sans cabinet de réflexion…
Le solstice d’été est le point culminant de la lumière, mais en même temps l’annonce de son déclin, tout comme, à l’inverse, le solstice d’hiver annonce son renouveau. Il est, tel une ligne sur le pavé mosaïque, à la jonction du noir et du blanc, ni d’un côté ni de l’autre.
Certains supposent qu’il était membre de la secte des Esséniens, pour qui le Maître de lumière combattait le Maître des ténèbres.
Nikos Kazantzakis le présente comme toujours très emporté, lui faisant dire :
« Les hommes sont des brins de paille et je suis le feu. Je suis venu pour brûler, pour brûler la terre, …/… pour purifier l’âme, pour que le Messie y entre ».
(La dernière tentation du Christ)
Et effectivement, les feux de la Saint-Jean continuent de brûler dans nos campagnes.
« Ce feu dont saint Jean est la manifestation et l’annonciateur, se retrouverait étymologiquement. Jean, ou plutôt Ioannès, serait formé de deux mots chaldéo-hébraïques : Io et Oannès. Io signifie pigeon. Oannès était le nom du dieu qui, en Chaldée, sorti par 3 fois des eaux, apporta l’initiation aux hommes, leur transmit la lumière. Ioannès serait donc l’expression phonétique du pigeon de feu, de la colombe de l’Esprit Saint »
Paul Naudon
Cette colombe qui resta suspendue au-dessus de la tête du Christ à l’instant de son baptême (cette précision pour ceux qui ne sont pas allés au catéchisme).
Ainsi, Baptiste est le « Feu-Principe », manifestation initiale de ce qui est la cause première de tout. Il est à la fois le commencement et la fin, l’entrée et la sortie. Il est le passage.
Dans la bible, le coq est le plus intelligent des animaux (Job, 38). Le coq est le Précurseur du Christ-Soleil, l’animal symbole de Jean le Baptiste, raison pour laquelle un coq orne le clocher de nos églises.
Maintenant, une incidente sortant du cadre de cette planche, mais que je ne puis manquer de vous livrer. Saint Jean-Baptiste est présent à notre insu dans notre quotidien.
Un hymne lui a été dédié au IXème siècle. Au XIème siècle, Guido d’Arezzo a créé la gamme que nous connaissons : Ut, Ré, Mi… à partir de cet hymne :
UT queant laxis
REsonare fibris
MIra gestorum
FAmuli tuorum
SOLve polluti
LAbii reatum
Sancte Iohannes
Traduction : Pour que tes serviteurs puissent faire résonner le miracle de tes actions avec les harpes des anges, pour le pêcheur, délivre-le des fautes sur ces lèvres, Saint Jean.
Nous reviendrons à Saint Jean Baptiste lorsqu’il s’agira de faire le parallèle entre les deux Jean.
Saint Jean l’Evangéliste
Le christianisme a retenu très peu de choses le concernant, jusqu’à son départ avec Jésus.
Il est fils de Zébédée et de Marie-Salomée. Il était pêcheur sur le lac de Tibériade, avec son père, et son frère connu sous le nom de Jacques le Majeur. Les deux frères partirent ensemble comme disciples. Jean était » l’aimé « .
Pour l’anecdote, Jésus serait l’oncle de Jean et de Jacques, Salomée étant la fille du premier mariage de Joseph. A moins que ce ne soit par la filiation de Hismérie, la sœur de Sainte Anne, par son troisième mari (par veuvage, je vous rassure, mais je rappelle que « la veuve » est très présente en Maçonnerie) ? J’espère que vous me suivez… Bref, ils étaient parents.
La tradition veut qu’il ait été le seul disciple, témoin de la crucifixion. Dans les évangiles synoptiques, ceux qui sont » autorisés » (Marc, Matthieu, Luc), et dans le livre des actes des apôtres (Luc), il est toujours cité parmi les premiers.
En revanche, il existe une grande controverse chez les historiens quant à l’attribution à Saint Jean du 4ème Evangile dit » de Saint-Jean « , que certains affirment être de Jean le Presbytre, voire d’une école. La même controverse existe quant à l’Apocalypse. Les nombreuses contradictions que contiennent les Evangiles entre eux alimentent la polémique. (cf. Jésus, anatomie d’un mythe, de Patrick Boistier)
Mais là encore, laissons aux exégètes le soin de ces débats, et retenons l’importance symbolique du personnage que nous continuerons d’appeler l’Evangéliste.
Sa fin ne fait pas non plus l’unanimité. Les Evangiles de Marc et de Matthieu sont très précis sur le sujet : Jésus avait annoncé à Jean et à Jacques, le frère de Jean, qu’ils l’accompagneraient dans sa passion et seraient martyrisés. Divers textes, dont un manuscrit conservé dans la cathédrale de Trèves en Allemagne, indiquent que Jean serait mort en 43, ou peu après. Or, la tradition le fait vivre jusqu’à plus de 90 ans, au début du IIème siècle, à Ephèse.
Il avait organisé l’église de Palestine, avant de se réfugier à Ephèse. Il fait force miracles. Qu’on en juge :
- A Rome, plongé dans un chaudron d’huile bouillante, il ressort plus jeune qu’il n’y était entré, ce, grâce à sa virginité.
- Il boit sans conséquence à une coupe empoisonnée alors que, à peine après y avoir posé leurs lèvres, deux goûteurs meurent instantanément. Il les ressuscite sur le champ.
- Prêchant devant une foule païenne en se plaçant devant une statue d’Artémis, les adorateurs de la déesse veulent le lapider. Mais les pierres détruisent la statue sans que lui ne soit touché, et, par rebond, tuent ceux qui les avaient lancées. Mais magnanime, il ressuscite tout le monde, ce qui suscite moult baptêmes. Etc…
- La reprise des persécutions en 94 le fait s’exiler à Patmos, magnifique île du Dodécanèse. Là, en extase, il reçoit le message suivant : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre pour l’envoyer aux 7 églises: Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. Ecris donc ce que tu as vu, le présent et ce qui doit arriver plus tard ». A la suite de cette vision, il rédigera l’Apocalypse.
De retour à Ephèse, il reprend sa mission d’évêque.
Ici, tout est symbole :
En tout premier lieu, il est le Jean de la Saint-Jean d’hiver, associée à la naissance de Jésus. Il est le pendant du Baptiste. Il se situe au jour le plus court, mais il est l’annonciateur de la Lumière qui va renaître. On pourrait ajouter que le 25 Décembre, les bougies du sapin sont le pendant des feux du 24 Juin.
Pour le reste, symbolisme foisonnant, certes, mais pas nécessairement éclairant pour un Franc-Maçon athée.
Bien sûr, nous retiendrons basiquement le chiffre 7 des 7 églises, mais reconnaissons que cela n’apporte en rien une réponse à notre problématique.
On attribue également à ce Saint Jean, la lettre G, bien connue des Francs-Maçons. En fait, il s’agit du gamma grec, une équerre. Son nimbe est parfois orné de 4 gamma, constituant un svastika, symbole de la parfaite connaissance, avant que le nazisme ne le détourne dans son absurde et criminelle idéologie.
Ensuite, pouvons-nous oser un parallèle entre la coupe de poison, et notre coupe d’amertume qui, Dieu merci si je puis me permettre, n’a jamais tué personne.
Revenons sur le supplice infligé par l’empereur Domitien à Jean. On pourrait avancer que cette immersion dans un chaudron d’huile bouillante s’apparente à une transposition du baptême. On retrouve la pureté tant de l’homme que du liquide. En effet, l’huile est omniprésente dans la vie et la symbolique orientale de cette époque : elle est à la fois nourriture et éclairage, symbole de Pureté, de Prospérité et de Lumière. L’olivier sans lequel il ne peut, dans ce contexte, y avoir d’huile, est très présent dans la rituélique du Rite Ecossais Ancien Accepté. La Lumière qui est prodiguée, permet à l’Initié, purifié, d’éclairer son Temple intérieur, et par là, de travailler à l’édification du Temple Universel.
En approfondissant l’analyse, peut-on rapprocher la décision de Jean de se faire enterrer vivant par ses disciples, de la démarche de l’impétrant qui accepte l’épreuve de la terre dans le cabinet de réflexion ?
Un autre élément est fondamental dans la symbolique de l’Evangéliste. L’animal qui lui est associé est l’aigle, l’oiseau qui peut regarder le soleil en face, l’oiseau symbole de la lumière dans la plupart des religions orientales et moyen-orientales.
Je suis tenté de rappeler que Zeus, voulant déterminer le centre du monde, fit partir deux aigles, l’un à l’Orient, l’autre à l’Occident. Ils se croisèrent au-dessus de Delphes, à l’endroit précis où Zeus plaça l’Omphalos, le nombril du monde, gardé par le serpent Python. Or, le serpent, symbole de la connaissance, que l’on représente sortant d’un vase sacré, est le deuxième animal attaché à l’Evangéliste.
De cette mythologie, restera la représentation de l’aigle bicéphale, après celle des légions romaines, le symbole de l’église de Constantinople qui règne d’Orient à Occident. Mais ne serait-ce pas également, Saint Jean le Baptiste et Saint Jean l’Evangéliste, réunis en une seule entité, tel Janus, dont la fête est le 1er jour du mois qui porte son nom, Janvier, (Januarius). Il est le dieu du commencement et des fins, de l’alfa et de l’oméga de l’Adresse de l’Apocalypse, le dieu des deux portes, la porte des dieux, la porte des hommes. C’est en accolant à chacune des célébrations solsticiales la commémoration d’un Saint Jean que la chrétienté a su adopter, en l’adaptant, la fête de Janus.
Enfin, je rappelle que l’aigle bicéphale est le symbole du Suprême Conseil du Rite Ecossais Ancien Accepté. Il n’y a pas de hasard.
Revenons à la citation du début de cette planche :
« Au solstice d’hiver, à la porte des Dieux se tient l’Evangéliste, Jean qui rit, car la lumière du soleil à son minimum, va croître jusqu’au solstice d’été.
A la porte des Hommes, au solstice d’été se tient Jean-Baptiste, Jean qui pleure, car la lumière va décroître jusqu’au solstice d’hiver ».
De par son statut de précurseur, Saint Jean Baptiste est placé à l’intersection de deux temps : celui de l’Ancien Testament, essentiellement le livre des Lois et le livre des Prophètes, et le Nouveau Testament qui commence avec la vie de Jésus, l’avènement du Christ, le messie (en grec ancien, christos, χριστός, en hébreu, mashia’h, en arabe : Al-Masih – ce qui signifie » oint « , littéralement » l’oint à l’huile d’olive « , dont il était question plus haut) se réalisant par son baptême. Le Nouveau Testament se poursuit, entre autre, par les Evangiles, mais celui de Jean n’est pas intégré, car trop différent dans sa narration, aux 3 synoptiques (c’est-à-dire, ayant une relative similitude dans leurs récits) Matthieu, Marc, Luc, même si les 4 sont dits canoniques. Il se clôt sur l’Apocalypse, « la révélation ».
Le prologue de ce 4ème évangile est le célèbre :
» Au commencement était le Logos (Verbe) et le Logos était tourné vers Dieu et le Logos était Dieu …///… Et la Lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas comprise « .
Sa mission est donc d’initier le profane au divin, ce qui fait de l’Evangéliste le symbole de la verticalité.
En fait, si le mot employé dans le texte grec original est Logos, ce qui signifie la Parole, mais aussi la Raison, c’est que, pour les Grecs, les deux idées étaient conjointes, au sens où une parole dénuée de raison n’est qu’un vain bruit.
On peut donc penser que, déjà, la parole était perdue. Et le Baptiste entre aussitôt en scène pour » rendre témoignage de la Lumière « . Tout cela ne peut manquer de nous évoquer encore une fois, de loin certes, dans une configuration non théiste, notre Initiation. Je laisse à chacun le soin de faire la transposition qui lui convient.
Tout au long de ce parcours plein d’embûches pour moi, et que ceux qui en savent plus apportent les correctifs qu’ils jugeront nécessaires, j’ai toujours eu la sensation que ces deux Jean ne faisaient qu’un, en tout point complémentaires et indispensables l’un à l’autre. Peut-on percevoir l’un sans évoquer l’autre ?
La Maçonnerie n’aurait-elle pas fait cette fusion ? Les Templiers, semble-t-il, n’avaient pas hésité à la faire, puisque l’Ordre qui les a précédés (je ne reviens pas sur cette très longue histoire) étaient les Hospitaliers de Saint-Jean dont l’église qu’ils avaient créée vers 1050, était placée sous l’égide du Baptiste.
En 1118, la légende veut que ce soit le jour de la Saint Jean l’Evangéliste, que Hugues de Payn et Geoffroy de St Omer fondèrent l’Ordre des Pauvres Chevaliers Du Christ et du Temple de Salomon. Plus tard, lorsqu’ils décidèrent de protéger les pèlerins, ils devinrent rapidement les Chevaliers du Temple.
Or, les Templiers fêtaient les deux Saint Jean, mais la Saint-Jean d’été était bien la plus importante, occasion de gigantesques feux, même si leur vénération se portait principalement sur l’Evangéliste.
Alors, pourquoi et comment la Franc-Maçonnerie s’est-elle appropriée ces deux personnages ? Loges de Saint Jean, une symbolique à géométrie variable .
Quelle peut être notre filiation johannique, et quel est son sens ? Elle n’est pas universelle, les péripéties anglaises en attestent. Conséquence de l’affrontement entre les catholiques stuartistes et les orangistes protestants , les Loges relevant de la Grande Loge de Londres fêtèrent la Saint Jean pour la dernière fois le 27 Décembre 1728. En 1738, l’Ancien Testament y supplanta le Nouveau. Exit les Evangiles. Ces Loges cessèrent ensuite de porter le nom générique de Loge de Saint-Jean. La déchristianisation des rituels en 1813, après l’union des Antients et des Modernes, conduisit à la création de la Grande Loge Unie d’Angleterre et une certaine mise à l’écart des Constitutions d’Anderson.
Quant au Rite Français, en tous cas dans ses Loges Bleues, il est peu revendicatif à ce sujet : fêtes solsticiales (y-c au Rite Ecossais Ancien Accepté) soit, fêtes de la (ou des) Saint-Jean, pas si sûr ! Pendant de nombreuses années, se sont tenues à Presles, dans la région parisienne, « les plus importantes » (sic) fêtes de la Saint-Jean d’Europe, réunissant plus de 2000 Francs-Maçons (cf. Annales du Grand Orient de France). A noter qu’ensuite, le compte-rendu faisait uniquement état de « Fêtes solsticiales ».
Reprenons quelques repères :
Tout d’abord, l’origine de la Maçonnerie, telle que nous la connaissons remonterait au 24 Juin 1717, jour de la Saint Jean d’été, lorsque, à l’initiative de Desaguliers et du pasteur Anderson, les 4 Loges de Londres ont fusionné dans la taverne de L’Oie et Le Grill. Nous savons que c’est une légende, mais le symbole est là.
Ensuite, on sait, depuis Ramsay, l’attachement que la Maçonnerie a pour les Templiers. Mais, nous savons cependant qu’il n’y a pas de filiation avec le Temple
Soyons pragmatiques : au moment de la création de la Maçonnerie spéculative, le monde occidental est chrétien, et il ne pouvait encore en être autrement. Il est donc logique que ses fondements le soient, même si, en ferment, d’autres orientions peuvent se dessiner. Il est difficile d’imaginer que les pouvoirs absolus de l’époque, aient pu laisser se développer ce que nous appelons aujourd’hui, notre Maçonnerie libérale et adogmatique. Alors, bien sûr, se référer à, ou aux, Saint Jean, donnait une image très présentable, même si l’Eglise sentit évidemment le danger que représentait une doctrine non canonique, qui acceptait en son sein des non catholiques. D’où la bulle fulminée par Clément XII le 4 Mai 1738, pour l’anecdote, bulle non enregistrée par le Parlement de Paris.
Je reprends une étude faite par un Frère travaillant au Rite Ecossais Ancien Accepté à la gloire du Grand Architecte de l’Univers, ses références étant fort complètes et éclairantes :
« L’Evangile de Saint-Jean semble largement répandu. Il est mentionné dès la fin du 17ème siècle, puisque le Manuscrit d’Edimbourg, qui date de 1696, énonce que « le Maçon doit prêter serment sur Saint-Jean ».
Dans le Manuscrit Sloane, qui date de 1700, il est dit que la Loge s’est réunie « dans une chapelle dédiée à Saint Jean ».
Dix ans plus tard, le manuscrit Dumfries indique que les Maçons doivent célébrer leur unité en se réunissant chaque année à la Saint-Jean. C’est ce que rappellent les Constitutions d’Anderson de 1723, qui précisent que les Maçons doivent se réunir lors de l’une des deux Saint-Jean pour élire le Grand Maître, un Député et deux Surveillants.
Enfin, en 1730, Samuel Pritchard publie un ouvrage dans lequel il déclare :
« La raison pour laquelle ils se dénomment Loge de Saint-Jean (le Baptiste), est, parce que celui-ci était le précurseur de notre Sauveur, et a posé la première pierre en parallèle à l’Evangile » (d’où les acclamations, de cri de joie à « Sauveur » au Rite Ecossais Ancien Accepté …).
En tout état de cause, la Maçonnerie française introduisit dans ses rituels d’Initiation dès 1745 le serment prêté sur l’Evangile de Saint-Jean, » qui devait être embrassé par l’impétrant devant les Frères assemblés « .
Reconnaissons que l’enseignement de ces deux Jean ne peut que nous agréer. Car si, pour nombre de civilisations, de religions, les solstices ont été fondateurs, ils restent aujourd’hui les symboles de la lumière créatrice. Or, que demande l’impétrant, que demandons-nous pour lui ? La Lumière.
Certes, on lui apprend ensuite qu’il préfère avoir la gorge tranchée plutôt que de trahir son serment : Jean-Baptiste a eu la gorge tranchée.
Ils prêchent l’un et l’autre l’amour du prochain, or nous travaillons pour l’Amour de l’Humanité. Ils symbolisent également la connaissance. Amour et connaissance, n’est-ce pas là notre quête ?
Enfin, qu’est-ce que l’Initiation, si ce n’est le passage des ténèbres à la lumière, dans la volonté de se consacrer à la recherche de la Vérité. Les religions révèlent leurs vérités, le Franc-Maçon passe sa vie à la chercher, dans son temple intérieur pour participer au mieux à l’édification du Temple de l’Humanité.
Toutes ces données fournissent autant de clefs d’explication à la question du pourquoi nous sommes dits » venant d’une Loge de Saint-Jean « .
A tout Frère ayant respecté son engagement, la Maçonnerie reconnaissante peut lui dédier le verset 3.8 de l’Apocalypse, version la Bible de Jérusalem :
» Je connais ta conduite : voici, j’ai ouvert devant toi une porte que nul ne peut fermer, et, disposant pourtant de peu de puissance, tu as gardé ma parole sans renier mon nom « .
Bibliographie :
- Le magnifique ouvrage sur l’Apocalypse, cadeau de Triple Union et Amitié
- La Bible vs Bible de Jérusalem
- Paul Naudon : Les Loges de Saint Jean
- Rudolf Steiner : L’Evangile selon Jean
- Cynthia Fleury : Les Irremplaçables
- Nikos Kazantzakis : La dernière tentation du Christ
- Sub Rosa : Les deux Saint-Jean
- Patrick Boistier : Jésus, anatomie d’un mythe
- Irène Mainguy : Divers ouvrages
- Et bien sûr, nombreuses recherches sur Internet